« Si on laisse faire les Français, ils se contenteront de fabriquer des porte-clés » – Le Général De Gaulle

Depuis la une du journal Libération consacrée au système de financement du cinéma français, nul ne peut ignorer le séisme provoqué par le producteur Vincent Maraval (Wild Bunch) qui secoue actuellement le milieu du cinéma français.

Pour vite résumer, ce dernier dans une tribune du monde datant du 29 décembre dernier dénonce l’inflation des salaires des vedettes françaises (Dany Boon et ses 3,5M€ pour un Plan Parfait) qui s’appuie en partie sur un système de financement trop fermé. (Subventions, taxes, chaines tv…). Bref, rien de nouveau au fond pour n’importe quel acteur du système, ni pour ceux qui dénoncent ce système vertueux en apparence mais incroyablement pervers sur le fond. Pourtant le fait que ce soit un grand producteur qui le dise, cela change la donne. Soudainement les langues se délient. Chacun y va de sa diatribe. Chacun voit surtout midi à sa porte. Il y a ceux qui regrettent le cinéma de papa, ceux qui veulent toujours plus de subventions, ceux qui veulent sanctuariser le « cinéma d’auteur ». Bref un gros cafouillage comme toujours qui donne l’illusion que les choses peuvent bouger. La vérité c’est que le système divise pour mieux régner. Le système souhaite ce bordel. Mieux, ça l’amuse. Cela lui donne de l’importance. Et au final c’est le cinéma qui est perdant, car si je me place du prisme du simple spectateur, celui que les professionnels snobent depuis maintenant plus de 30 ans, j’ai envie de simplement crier : « on s’en fout de comment vous produisez vos films ! On veut juste qu’ils soient bons ! »

Comprendre par ce « bon », qu’il y ait un peu plus de cinéma que de comédies abscondes ou de commentaires idéologiques. Idéologiques. Le mot est lâché. Quelle idéologie ? Comment ça laquelle ? Vous ne voyez pas… depuis 30 ans, le cinéma français n’est pas dirigé par des cinéastes mais par des idéologues gauchistes. Hop hop hop ! Je vous arrête. Je vous vois venir (en même temps c’est facile ça fait 20 ans que j’observe votre manège, vos manières sournoises de privilégier). Vous allez aussitôt m’accuser d’être dans le camp adverse. Celui de la droite, pro libérale etc… alors je préfère tout de suite être clair. Je ne me prostitue pour aucune idéologie à part celle du cinéma, car la culture – n’en déplaise à ceux qui visent nos voix –  est au-dessus de vous, de nous.

Bref… je reprends. … depuis 30 ans, le cinéma français n’est pas dirigé par des cinéastes mais par des idéologues gauchistes, QUI ! … profitent de ce système. C’est-à-dire laissons les ultra-libéraux faire leurs comédies abscondes sur-financées, laissons les américains nous envahir de leurs blockbusters d’un côté, taxons les, gagnons sur eux. Mieux ! vivons sur eux et redistribuons la somme prélever pour nous, nous uniquement les chantres de l’Exception Culturelle et de la « pseudo » diversité.

A première vue. J’ai envie de dire malin le singe ! Le problème – et il est là, l’effet pervers – c’est que l’Exception Culturelle n’a rien à voir avec du cinéma. Les films n’existent uniquement que par le prisme des idéaux égalitaires et sociaux et donc, comprenez, inattaquables. Ils s’en servent pour vivre tranquillement à travers un métier idyllique (en apparence.. pas pour celui qui galère derrière pour imposer une vraie vision du cinéma). Cela est d’autant plus flagrant lorsque l’on voit ces films recevoir l’aide du Centre National de la Cinématographie. Ce n’est pas du cinéma. C’est un prospectus social ou tout simplement une coquille vide, un film qui ne sait même pas pourquoi il existe tant il est vide de cinéma.

En somme et en ce qui concerne le cinéma français, le public a le choix entre des grosses comédies sur-financées avec des gens à l’aise devant la caméra mais qui n’ont aucune crédibilité en tant que comédiens. Ces comédies sont souvent des prospectus touristiques, c’est-à-dire qu’elles ne sont basées pour la majorité d’entre elles que sur une moquerie communautaire (ils appellent ça hommage) pour rameuter le peuple et en particulier celui visé. L’autre choix, ceux sont les soi-disant films sérieux qui sont censés élever le spectateur et le rendre intelligent (ils veulent surtout le formater à une pensée unique). Soit le cinéma d’auteur, le cinéma de l’Exception Culturelle. Or tous les responsables de ces films (des comédies aux films dits de l’exception) oublient la chose la plus importante: le cinéma. Ils en oublient les règles, la structure, sa technique, sa grammaire. Soit tout ce qui permet de transcender un sujet, de l’élever au rang cinéma et d’en faire une véritable œuvre cinématographique susceptible d’être appréciée par n’importe quel habitant sur cette terre. Soit sa valeur universelle que le cinéma français oublie systématiquement car l’incompétence du métier y règne.

Question : Cette incompétence est-elle le fruit du hasard ? Bien sûr que non. C’est la volonté du système. Allez donc proposer un scénario de cinéma universel, ambitieux, audacieux dont le langage est l’image avec une équipe reconnu, à un comité de lecture du CNC. Dans les années 80, 90, ils étaient assez honnête pour vous rétorquer « ce n’est pas assez social ». Aujourd’hui, ils vous répondront sournoisement par un argumentaire abstrait : « ce n’est pas assez psychologique ». La bonne blague ! Que répondre à cela, sinon être consterné. On aurait envie de leur répondre que la psychologie au cinéma peut être aussi appuyée par la mise en scène, le cadre, le montage, la scénographie. Mais encore faut-il avoir la capacité intellectuelle et le talent pour savoir décrypter une image, l’analyser, la placer dans son contexte intra et extra diégétique.

Vous imaginez un professeur de français qui soutient soudainement un élève qui a obtenu  un zéro en dictée, en écrivant au tableau : « Désormais, faire des fôtes n’est plus une faute. Vive L’Exception Orthographique ». Aberrant ? Et bien L’exception culturelle française c’est un peu la même chose. Bref vous l’avez compris. Le premier problème du système, c’est tout simplement son incompétence et sa volonté de la faire perdurer. Tenez, un exemple marquant qui démontre à quel point le système du cinéma français méprise le public: L’Esquive (200.000 entrées) récompensé par le prix du meilleur film aux Césars 2004, snobant au passage de vrais films de cinéma populaire qui ont su fédérer comme 36 Quai des Orfèvres (plus de 2.000.000 d’entrées) ou Un Long Dimanche de Fiançailles (plus de 4.000.000 d’entrées). Et c’est comme ça tous les ans. Quand ce n’est pas les grosses comédies de privilégiés. On nous oppose des films sociaux nous racontant toujours les mêmes problèmes, les mêmes histoires, avec les mêmes personnages. Une sorte de film d’auteur industriel que l’on produit à la chaîne. Soit deux façons différentes de procéder pour servir le même système.

Où est le cinéma dans tout ça ? Il existe heureusement. Il tient en deux poignées de mains. Nommons quelques-uns de ces vrais artistes : Jan Kounen, Mathieu Kassovitz, Jean-Jacques Annaud, Luc Besson, Christophe Gans, Florent Siri, Gaspar Noé, Jean-Pierre Jeunet, Eric Vallet, Pascal Laugier, Xavier Gens, Alexandre Aja …etc. Si on peut actuellement déplorer leurs silences, on peut pour le moment remarquer leurs points communs : pour s’émanciper, ils ont tous été à un moment donné obligées de partir à l’étranger. Et plus de la moitié d’entre eux, n’ont jamais eu le moindre soutien du CNC. Sachant qu’un réalisateur sort un film tous les 4 ans en moyennes, 12 noms cités, c’est trop peu sur 200 films produits par an en France.

Retour sur 8 ans de galère.

Il y a une différence fondamentale entre Vouloir et Pouvoir. Le premier n’implique qu’un désir personnel. Le second implique une interaction avec l’autre. Je me souviens il y a 8 ans, lorsque j’étais encore étudiant.

J’étais en licence multimédia / technique de l’image et du son, à l’université. Ce lieu où les professeurs en profitent pour balancer de la poudre aux yeux aux étudiants en leur expliquant qu’on gagne beaucoup d’argent, qu’il y a beaucoup de débouchés… Et bien quoi ? Il faut bien avoir des étudiants si on veut toujours pouvoir enseigner ? Les plus naïfs tombent dans le panneau.  Ce n’était pas mon cas. En même temps. Cela faisait depuis l’âge de 8 ans que je me gavais de lecture sur le cinéma et en théorie la meilleure école de cinéma, c’est un bon critique.

Bref. Lorsqu’on est étudiant et qu’on vous donne l’opportunité de concrétiser un projet (dans la limite du possible), on voit tout à coup la lumière. On se dit que ça y est c’est parti. On a la chance de prouver ce que l’on sait faire. On va être enfin lancé dans le métier. On fonce donc dans le projet tête baissée, en se disant que l’on va fracasser tout ce qui a existé auparavant : c’est un fantasme de cinéaste et ô combien utile pour démarrer. On appelle ça avoir la « Niak ! »

Des jeunes réalisateurs français sincères, talentueux et pleins de niak, on en trouve partout sur le web. Grâce à Youtube ou Vimeo mais aussi grâce la démocratisation du format numérique. Certains arrivent s’exprimer sans le moindre budget et réussir des films qui n’ont pas une chance de passer la première session du comité de lecture du CNC. Tandis que j’en vois d’autres croire aux organisations telles que le GREC. Une organisation qui propose de réécrire votre scénario jugé mauvais. En fait, cette organisation comme toutes les autres du même type censés transformer votre script en carrosse resplendissant, n’ont pour but que de prostituer l’auteur qui est en vous avec toujours la même idée : vous soumettre au système idéologico-culturel de notre nation France.

Car sachez jeunes cinéastes qui tomberez au hasard sur ce texte, qui dit « subvention dit soumission ». Ne l’oubliez jamais.

Vous jeune auteur talentueux désireux de marcher sur les pas d’un James Cameron, d’un Steven Spielberg, d’un John Carpenter, d’un John Woo, d’un Sergio Leone, d’un Paul Verhoeven, ou encore d’un Johnnie To, Quentin Tarantino, Tsui Hark, John McTiernan, Martin Scorcese, Michael Mann, Sam Raimi, Guillermo Del Toro, Peter Jackson… Sachez, vous, auteurs français, que les « fonctionnaires » du cinéma français ne vous aime pas.

J’ai pu m’en apercevoir de nombreuse fois. Que ce soit par le retour des responsables des acquisitions courts-métrages aux chaines TV ou par les retours des comités de lectures du CNC.

Je me souviens d’une projection dans un festival il y a quatre ans où il y avait le responsable court-métrage du CNC, Monsieur Morad Kertobi. Celui-ci pour se présenter lui et sa structure, y allait de sa verve pour expliquer aux 200 personnes présentes (et une cinquantaine d’étudiants et profs)  que le CNC était responsable de l’existence du court-métrage en France, qu’elle aidait et accompagnait les auteurs dans leurs démarches. Manque de bol pour lui. J’étais présent et je présentais mon film BABY BOOM, salement jeté par son comité de lecture et qui comme vous vous en doutiez n’a pas eu le soutien de cet organisme.

Manque de bol pour lui. Lorsque j’ai présenté mon film. Je l’ai pris à partie devant les 200 personnes pour dénoncer ses mensonges. Nombreux sont ceux qui après sont venus me dire que j’avais eu tort d’avoir fait cela. Personnellement en quoi ai-je eu tort ? Je n’ai pas envie d’être comme eux à 50 ans avec la gamelle autour du coup pour réaliser des court-métrages. Ce n’est pas mon projet. D’ailleurs ON/OFF mon film suivant aura vu son budget doubler et cela, sans l’aide du CNC mais grâce à des techniciens et intermittents conscients de la rigidité du système et la participation de Rodéo FX, grosse société d’effets numériques au Canada. Au final, je suis gagnant.

Gagnant. Cela veut dire qu’il y a des perdants et c’est justement ce que j’avais prophétisé à l’ex présidente du CNC, Madame Véronique Cayla, il y a trois ans, à travers une longue lettre de trois pages, pour l’avertir que si le système continue de snober les vrais cinéastes, tôt ou tard, ils perdront leurs privilèges. Forcément m’ayant lu en diagonale avec une coupe de champagne à la main, j’ai reçu une réponse tapée par un robot vantant les mérites du système comme le fait à son tour le président du CNC actuel, Monsieur Eric Garandeau par rapport au séisme provoqué par le producteur Vincent Maraval.

L’un de mes meilleurs souvenirs reste cependant la discussion en apparence courtoise avec le responsable des acquisitions courts-métrages de France 2. Je savais que BABY BOOM n’avait aucune chance d’être diffusé sur sa chaîne pour laquelle je paye ma redevance (comme vous tous, n’est-ce pas ?). Mais j’ai tenté d’aller discuter calmement pour savoir pourquoi lui et son système ne diffusait jamais de film dit de genre (pour ne pas dire bon film avec une vraie envie de cinéma). Ce dernier m’explique que très souvent en France, les films de genre sont mauvais, mal écrits – en prenant soin naturellement de ne pas me mettre dans le lot. Alors je lui ai dit pourquoi ne pas diffuser mon court ? Il finit par me faire comprendre que c’est parce que ce n’est tout simplement pas le cinéma français que l’on attend. Ok. Rien d’étonnant. Là où je l’ai eu mauvaise, c’est quand ce dernier vous dit clairement que l’on doit s’exiler (mot à la mode en ce moment) à Hollywood pour faire « notre » cinéma ? Est-ce que vous pouvez vous imaginer l’impact psychologique pour un auteur qui se bat, de s’entendre dire en gros : « cassez-vous, vous nous correspondez pas ». Je lui ai juste rappelé que finalement Hollywood les arrange bien. La prochaine fois, je ne serai pas aussi cordial car pendant que ce monsieur bouffe grâce au système, les auteurs qui ont de vraies idées de cinéma, qui veulent transpirer et qui ont l’ambition de faire rayonner le cinéma français à travers le monde, celui-là on lui dit de dégager.

Dois-je vous raconter ce que m’a dit un autre responsable à l’acquisition court-métrage pour la télévision ? Non pas la peine. Je suis encore dans le métier, lui ne l’est plus. Je pourrais vous raconter le snobisme d’un responsable à la collectivité Aquitaine rencontré au Festival de Cannes. Ou bien de cette responsable des acquisitions courts métrages chez Arte qui dépasse le cadre de ses compétences en se mêlant des scénarii qu’on lui envoi pour un préachat ? Ou d’un autre qui me dit de tout simplement écrire une comédie si je veux espérer une aide. Je pourrais vous raconter des tas de choses sur le milieu qui vous méprise tant mais qui ont le coude facile pour manger et boire. Malheureusement pour eux, je crois bien qu’ils sont actuellement en pleine crise d’indigestion.

Au fond, la cause n’est pas la mécanique du système. L’idée est bonne: la taxe sur les entrées, les subventions pour un cinéma autre, l’avance sur recette, l’obligation des chaînes TV d’investir pour le  cinéma. Non. Le problème comme toujours c’est l’Homme car c’est ce dernier qui pervertit les mécaniques. Nombreux sont ceux qui n’ont rien à faire dans le milieu tant ils mettent l’idéologie au-dessus du cinéma, tant ils exagèrent sur le bienfait de l’exception culturelle pour mieux cacher leur incompétence et l’impérialisme du cinéma américain (cinéma qu’ils détestent tant mais qui au final les arrange bien).

Comprenez bien ce qu’il se joue, du moins à mon niveau de cinéaste émergent : Le système de subvention comme le CNC préfèrerait donner 50.000€ a un réal et une équipe incompétente mais qui flatte la pensée unique soit leur idéologie plutôt que de les verser a des cinéastes ambitieux élevant leurs propos bien au-dessus de l’idéologie dominante et entourés de techniciens/artisans réputés.

Contrairement au système, loin de moi l’idée d’imposer à un auteur ce qu’il doit écrire ou réaliser, mais j’aimerai juste que ce système accepte de s’ouvrir à un autre cinéma, plus populaire et ambitieux, plus universel et cinématographique. C’est juste du bon sens.

Lors de ma licence, un intervenant m’avait jugé « trop romantique ». Oui, je suis un passionné du cinéma. Je ne vis et transpire que pour lui et je n’aime pas l’idée injuste que lorsque le public va voir des films susceptibles de leur plaire (un film américain en moyenne) cela sert à faire un mauvais film français en France. Qu’avec l’argent public le CNC aide des films qu’ils n’iront jamais voir. Des films qui ne les intéressent pas. Pire qui les regardent de haut. C’est cette idée là que j’accuse.

Pour le reste, j’imagine bien que mon discours va faire beaucoup grimacer. Qu’importe. J’ai ma conscience et mon vécu personnel pour moi. J’ai aussi l’espoir que le système s’apaise, s’ouvre et soit ainsi plus juste envers l’effort, l’ambition, l’audace et le talent. Pour ma part, j’ai cessé d’être anxieux. A force de prendre des coups mais aussi de les rendre, et par la ténacité et l’audace, j’ai compris que le Cinéma – tout simplement – finit toujours par reconnaitre les siens.

Thierry Lorenzi