Texte écrit sur invitation de la rédaction du site ChaosReign.fr suite à l’appel à des « états généraux » du cinéma français. La tribune a été publié sur leur site le 14 octobre 2022.

Il y a plus d’une dizaine d’années, je me souviens d’avoir écrit, une lettre de trois pages adressée au CNC et sa présidente de l’époque, Madame Véronique Cayla. Evidemment, je n’ai eu droit qu’à une « demi » lettre type en guise de réponse qui se contentait de vanter les missions de cet établissement public. Pour le CNC, c’était sans doute suffisant pour le petit réalisateur, auteur d’un seul court-métrage auto produit, de science-fiction qui plus est. Autant dire que je n’étais personne.

Pourtant dans cette lettre rédigée naïvement comme on jette une bouteille à la mer, je faisais état du manque de diversité artistique du cinéma français notamment au sein des commissions du CNC et par conséquent du mépris envers la science-fiction et du « genre » en général. En guise de conclusion, je les avertissais des conséquences de leur ligne éditoriale idéologique qui règne dans l’industrie du cinéma français, soit la désaffection progressive du public.

Pour dire vrai, je suis étonné que la catastrophe ne soit pas arrivée plus tôt. En effet, il aura fallu attendre un virus et l’avènement des services de vidéo en streaming pour que les salles soient désertes lorsqu’un film français est à l’affiche. D’un autre côté, les grosses productions américaines, elles, se portent plutôt bien. Sous l’impulsion du site Chaos Reign, je tente ici une tribune suite aux différents cris d’alarme de toute une industrie qui semble ne pas comprendre ce qu’il lui arrive. Chacun y va de son constat. Il y a ceux qui parlent du prix du ticket trop cher, ceux qui parlent du manque d’aide financière, ceux qui savent ce que le public veut voir, ceux qui opposent les salles aux streaming… etc. en oubliant finalement, le principal : la création.

J’ai réalisé mon premier court-métrage professionnel à 27 ans, peu de temps après mes études de cinéma à l’université. J’ai 41 ans aujourd’hui et la même passion m’habite, avec cette même rage qui vous maintient toujours jeune malgré les innombrables murs de mauvaise foi qui se dressent parfois contre vous. Ainsi, je ne compte pas le nombre de retours qui m’ont été adressés par les différents comités de lecture qu’un auteur rencontre pour trouver les financements de son film, qu’il soit court ou long. Et c’est systématiquement les mêmes avis paresseux qui s’expriment à travers des arguments censés être inattaquables mais bien trop subjectifs comme les fameux : « le héros n’est pas attachant », « trop efficace », « trop ambitieux », « pas assez psychologique ». Dernièrement, j’ai même eu droit à un abscons « trop commercial » alors même que le cinéma français souffre de la désertification des salles.

Je pourrai également vous parler d’un responsable du CNC que j’ai apostrophé en public après qu’il se soit vanté de faire exister le format du court-métrage. Hélas pour lui, le court que je présentais avait été auto-financé par manque de soutien. Ou encore de cette autre responsable court-métrage qui se mêle un peu trop de l’intention que vous portez à votre film. Ou encore de cet autre responsable court-métrage d’une grande chaine de télévision qui m’avait conseillé, alors que je n’étais qu’un tout jeune réalisateur, à aller me faire voir au Etats-Unis tant mon cinéma n’était pas « français ». Autant de mésaventures vécues comme des humiliations infligées par les salariés d’un système qui vous demande constamment de montrer « patte blanche » par rapport à l’idée qu’ils se font du cinéma. Par conséquent, il me semble pertinent de mettre cette crise économique et finalement existentielle du cinéma français, en corrélation avec un autre cri d’alarme apparu l’année dernière mais qui, étonnement (ironie), à beaucoup moins indigné : le mépris pour le travail du scénariste. Remarques désobligeantes, rabaissement, invisibilisation, réappropriation du travail, abus de pouvoir, maltraitance administrative… Sur les réseaux sociaux et sous couvert d’anonymat, beaucoup de scénaristes ont fait part d’un sentiment de discrimination lié à l’exercice de leur travail.

Avec cette crise, je suis forcément tenté de penser que c’est l’industrie tout entière du cinéma français qui paye son outrecuidance vis-à-vis du travail du scénariste et par extension de celui du réalisateur. Un mépris qui se manifeste par une grille de lecture des différents comités qui siège au sein des différents guichets : financement par la télévision, les distributeurs, les subventions… etc. Un mépris de surcroit prononcé parfois par des collègues scénaristes alors converti en simples consultants pour les sociétés qui les engage. En réalité, ils ne sont réduits qu’à un simple filtre censé garantir la grille de lecture surannée qui écarte systématique l’audace et la spontanéité du travail d’origine. Une grille censée garantir des entrées et de surcroit la qualité. Cela a conduit à une idéologie globale du cinéma français qui voyait d’un côté, une production nationale dominée par la comédie et de l’autre, une industrialisation du cinéma dit « d’art et essai » ultra codé lui aussi. Une idéologie responsable d’une multitude de productions, où l’on peut deviner les choix opérés lors d’une réécriture éprouvante afin de satisfaire les désiderata des différents investisseurs potentiels. Cela conduit à une création bien trop normée et sage, basée sur des poncifs éculés et qui finit par être dérisoire à force de compromis, y compris au sein des nouveaux services de diffusions en streaming qui semble imiter en France la ligne éditoriale des chaines de télévisions, au lieu de s’en émanciper.

En fin de compte, tout réalisateur et scénariste désireux de rompre avec les codes scénaristiques dominants, se voit systématiquement échouer à l’étape de la recherche de financement. Un « dogme qui ne dit pas son nom » devenu tellement boursouflé de normes que les producteurs en viennent carrément à demander à leur scénariste et réalisateur – alors soupçonnés de mauvaises intentions – de changer tel ou tel mot de peur de heurter le lecteur. Ces constats sont nécessaires pour changer ces aberrations de l’industrie cinématographique français. Au cours de mon humble expérience et en dehors des incompatibilités humaines que l’on peut rencontrer au cours de sa carrière, je peux affirmer que la majorité de ces problèmes existent en conséquence d’un système de production bien trop vertical, homogène et à la nature bien trop frileuse. Le simple spectateur ne le sait probablement pas mais en France, un producteur indépendant n’est pas garant de l’existence d’un film. Et selon moi, c’est l’autre grand problème. Si le producteur ne peut décider seul de la vie ou la mort du film qu’il souhaite produire, cela veut dire qu’il lègue ce choix à d’autres. Les plus connus : chaines de télévision, distributeurs et le sacrosaint CNC. Ce qui veut dire une interminable liste de comités de lectures censés approuver l’excellence du scénario.

Si je pointe les comités de lectures, c’est parce qu’ils interviennent aux plus mauvais moments de l’élaboration d’un film : les 100 pages du (es) scénariste(s) sont vus comme un couperet et non comme le point de départ essentiel à l’existence d’un film. Combien de scénaristes ont témoigné du revirement soudain de leur producteur après retour des comités de lecture alors même qu’ils en avaient salué précédemment le travail ? Les scénaristes se retrouvent donc en face de producteurs qui ne défendent plus l’œuvre mais son hypothétique aspect à passer la barrière bien trop excluante des divers comités de lectures. C’est là qu’intervient la discrimination : quand vous maltraitez un scénariste, vous maltraitez la création. Je me risque alors à une solution : obliger les investisseurs à ne juger que sur synopsis détaillé (ou traitement).

Il faut donc impliquer tout le système de financement d’un film dès l’étape de l’écriture du scénario : Le but étant de se dire que si un scénario s’écrit alors le film se fera. En gros, il s’agit juste de reculer l’étape du risque. Au lieu de le placer à l’étape du scénario. On décale le risque à l’étape du synopsis détaillé (ou traitement). Ainsi, l’élaboration du scénario n’est plus un risque pour le producteur mais un travail payant !
En dehors de son aspect subjectif, il faut bien comprendre, qu’il n’existe aucune garantie qu’un film soit réussi tant qu’il n’est pas terminé. Le gros du travail est justement de faire en sorte de supprimer tous les problèmes possibles en amont comme le fait le sculpteur sur sa pierre, pour enfin donner forme à la vision que souhaite le réalisateur. Ni la TV, ni le CNC, ni je ne sais quelle résidence d’écriture, ne sont en mesure d’affirmer qu’un film sera réussi et/ou qu’il trouvera son public, grâce à son scénario. Si c’était le cas, tous les films sélectionnés par le CNC seraient d’inoubliables et authentiques chefs d’œuvres populaires. N’est-ce pas ?

Actuellement, trop de monde se mêle de la création. Les seules personnes habilitées et autorisées à discuter un scénario devraient être le scénariste, le réalisateur et le producteur. Cela passe par une prise de conscience globale concernant la nature de l’objet « scénario » : ce n’est pas une œuvre littéraire. Le scénario est un outil technique nécessaire à l’équipe du film. Être obligé de rappeler cela en 2022, soit après plus de 100 ans de cinéma derrière nous, témoigne du désastre intellectuel auquel nous sommes confrontés.

On ne manquera pas de juger ma solution comme illusoire et bien trop naïve. Peut-être l’est-elle d’ailleurs ? Qu’importe, l’essentiel pour moi à ce stade est de pouvoir témoigner et démontrer à mon sens le principal problème de notre industrie cinématographique. Evidemment, il existe d’autres problèmes comme la stratégie du matraquage commercial qui n’accompagne que les plus grosses sorties aux détriments de films parfois plus audacieux qui auraient eu toutes leurs chances si le distributeur et les exploitants n’avaient pas décidé d’empêcher l’expression de son potentiel avant même sa sortie. Là encore un problème de grille de lecture centrée systématiquement sur la tête d’affiche (généralement un comique) et le genre (généralement une comédie familiale) et censée prédire la pulsion d’achat du public.

J’aimerais pour finir souligner que tout n’est pas noir. Naturellement, j’ai fait la rencontre de personnes absolument talentueuses, passionnées et passionnantes dans ce milieu. Parfois même au sein des postes les plus hauts en termes de responsabilité. Tout comme il existe chaque année quelques productions incroyables qui ont réussi à passer entre les mailles du filet.
Depuis quelques années, on assiste à l’éclosion d’un « autre » cinéma de la part d’une nouvelle génération de cinéastes et de producteurs mais encore trop timide à mon goût. Cet « autre » cinéma peine à convaincre le grand public notamment à cause des compromis créatifs exigés par des investisseurs toujours frileux mais aussi par les propositions peu ambitieuses auxquelles le cinéma français a bien trop souvent habitué le spectateur.

Malgré tout, je reste convaincu que le cinéma français peut rayonner à nouveau s’il renoue avec une confiance intégrale donnée aux créateurs et à des œuvres toujours plus spontanées et audacieuses. Le plaisir est une sensation qui transpire à travers la vision d’un film. Au contraire, le spectateur ressent quand celui-ci est trop normé, didactique, voir faussement « trop parfait ».
Pour l’heure, j’ai bien peur que ces « Etats Généraux » du cinéma français ne soient qu’une énième tentative, pour ceux dont les pinces sont au cœur du panier, de continuer d’une manière ou d’une autre, à protéger leurs privilèges, car nombreux sont leurs projets qui passent outre leurs propres filtres de sélections mais dont les résultats ne sont que le témoignage servile à une vision dominante et bien-pensante ou purement et simplement nombriliste.

Pour ma part, je continue vaille que vaille d’explorer ma vision du transhumanisme à travers mes projets d’anticipation. Peut-être sont-ils trop audacieux pour le système français actuel ? mais j’ai l’intime conviction qu’ils respectent le spectateur que j’ai toujours été et qui a façonné à travers ses découvertes, le cinéaste intègre que j’essaie d’être aujourd’hui.
« Ce qui doit tomber, il ne faut pas le retenir. Il faut encore le pousser » expliquait Nietzsche. L’industrie du cinéma français a bien besoin d’une révolution. Mais ça vous le savez déjà.

T.L