« Ils nous épuisent ces rêveurs… qu’ils meurent donc avant de nous avoir tués eux et leurs maudites chimères » – Ptolemy dans Alexandre Le Grand d’Oliver Stone –

Lorsque j’ai eu une première vision de ce que serait ON/OFF, c’était durant le tournage de BABY BOOM. On est à la mi-octobre 2007 et au milieu d’une cave toute poussiéreuse me vient le désir – sous haute inspiration – de voyager dans l’espace. Je m’étais déjà intéressé à tout ce qui concerne l’univers, l’espace, les astronautes. Tout cela me passionne et il y avait l’immense désir d’approcher ce domaine tout en continuant mon approche thématique sur la technique et les hommes. C’était une première difficulté qui en entraînait une seconde. Connaissant le budget moyen d’un court-métrage, je savais très difficile l’existence d’un tel film : création de décors et de costumes, lourds effets numériques, tournage en studio… Il me faudrait une vraie logistique de long-métrage hollywoodien… pas loin en tout cas.

La production de BABY BOOM s’est terminée en mars 2009 et j’ai pu commencer à écrire le film. Il y eu en tout trois versions totalement différente sur le plan narratif mais pas sur la thématique. Je tenais surtout à prendre un virage à 180° par rapport à BABY BOOM.  Ce dernier était un huis-clos dans une cave, celui-ci prendrait place dans le plus grand décor que l’on puisse imaginer : l’espace, l’infini.  Baby Boom était violent. Celui-ci serait dépouillé de toute agressivité… etc. Seule restait ma thématique de prédilection : le rapport de l’humain à la technique.

C’est un film contre un autre en quelque sorte. Non pas que je regrette Baby Boom. Absolument pas et je reviendrai certainement à cette atmosphère poisseuse, âpre et guerrière.

Mais je voulais offrir un bel objet. Quelque chose de beau qui prendrait place au milieu d’un désert spatial.

Il y avait aussi le désir ambitieux de rendre les choses plus difficiles encore. Croyez le ou pas. Mais après Baby Boom et sa logistique conséquente, J’ai eu – quelques semaines après le tournage – la sensation que cela avait été trop simple. Et comme le dit si bien cette expression des lois de Murphy : « Si votre plan se déroule sans accros, c’est une embûche ».

Alors j’ai décidé de faire un film qui nécessiterait le double voire le triple d’efforts que mon 1er court. Proche de l’impossible. Du moins j’avais besoin de m’en persuader pour avancer.  Et je n’ai pas été déçu. Je n’en demandais pas tant ! J’ai été gâté.

D’abord, l’incroyable difficulté de trouver une société d’effets numériques en France qui propose des devis raisonnables. Nous sommes allés voir les plus importantes et pour la majorité, elles nous proposaient des devis comme si elles vendaient de vulgaires services de plomberie. Ce qu’on leur demandait avant tout, c’était de prendre part au projet… Je remercie d’ailleurs celles qui ont décliné la proposition aux premiers contactes. Cela nous a évité de perdre du temps. Et du temps, en France on en perd facilement.

A ce moment là, il était difficile de me dire que le film verrait  le jour. Les effets numériques du film représentent près de 70% du film. Comment pourrais-je faire ce film sans une société d’effets numériques ?  Nous sommes en septembre 2010, et nous reçûmes alors une invitation à participer aux festivals SPASM au Canada dans lequel Baby Boom était sélectionné. Je ne crois pas au hasard et je savais que le Canada se positionnait comme l’Eldorado du cinéma hollywoodien. De nombreuses productions américaines déplacent leurs tournages là-bas pour des raisons de coûts et de logistiques. Sans compter que de nombreuses boîtes de CGI voient le jour depuis nombreuses années. Le hasard n’existant pas, nous tentons de trouver un accord avec l’une d’entre elles. Nous en avons seulement contactés deux. Et ainsi on a pu trouver un accord avec Rodéo Fx dont les créateurs sont des anciens de la Weta Digital (Le Seigneurs des Anneaux, King Kong) et d’ILM (La nouvelle saga Star Wars, La saga Matrix et Pirates des Caraïbes) qui ont crée leurs propres sociétés à Montréal. J’ai découvert des personnalités ambitieuses, professionnelles et toujours positives ! Ca changeait du moribond esprit Parisien.

Nous sommes en novembre 2010, à ce moment là et j’avais enfin la sensation que le film pourrait voir le jour. Commença alors la recherche de l’équipe technique. Tout se déroulait normalement et une chose est sûre si des films comme ON/OFF peuvent voir le jour c’est aussi grâce à quelques techniciens doux dingues qui gravitent dans le milieu.

Cependant… je ne compte pas le nombre de déconvenues que l’on a dû subir avant le début du tournage. En effet, de nombreuses personnes prévues à tel ou tel poste se sont décommandés à quelques jours du tournage. Imaginez le stress ! Cerise sur le gâteau, je perds ma 1ère assistante la veille du tournage. Super… Je dois me débrouiller tout seul avec mon second sans réel plan de travail. Qu’importe. Le débarquement est amorcé. On ne peut plus faire machine arrière.

Un tournage n’est pas un conte de fée et n’a strictement rien à voir avec le glamour du festival de Cannes. C’est la triste réalité. Ajoutez des difficultés d’organisation et vous pouvez vous retrouver dans un véritable bourbier. L’important à ce moment là, c’est de garder son calme. Pour ma part, j’ai tout pris dans ma tronche sans broncher. Un calme olympien qui aurait pu passer pour un manque de tension (rire). Mais que pouvais-je dire ? Je suis prétorien dans l’âme. Vous voyez un général de guerre jeter ses soldats en plein assaut ? Cela n’aurait aucun sens. Je serrais alors bien fort les difficultés contre moi. Je savais que j’étais capable de supporter ça. C’est d’ailleurs pour cela qu’elles tombaient sur moi et puis j’ai pu compter sur quelques personnes qui ont eu un sens absolu du dévouement.

Un tournage est trivial et chaque film est une guerre. Il suffit de quelques secondes pour détester quelqu’un et seulement quelques microsecondes pour l’apprécier. Tous les sentiments sont amplifiés. C’est en cela que faire du cinéma est la plus belle aventure humaine qui puisse exister. C’est pour cela que nous le faisons. Une sorte de sevrage qui agit même après de fortes déconvenues.

Rarement une équipe se sera mis autant en danger sur un projet court. Je les ai épuisés. Je l’étais aussi. Psychiquement et physiquement. Les journées atteignaient parfois 17h de travail avec un tas de questions techniques et artistiques à gérer sur le tournage. Cette fois c’est sûr, le long métrage, ça va paraître du gâteau. Mais, comptez sur moi pour rendre tout ça ambitieux et donc difficile.

Mais la chose la plus paradoxale, c’est de remarquer qu’à mesure que les difficultés pointaient le bout de leur nez, le film, lui, devenait plus ambitieux et meilleur encore. Et ce jusqu’au montage. Avec le chef monteur et ses incroyables reflexes, nous avons travaillé avant tout la narration rendant le tout plus fluide et beaucoup plus compréhensible que ce qui était couché sur papier. Il est toujours difficile de traiter de psychologie et de métaphysique à travers l’image et ce qui marche à l’écrit, ne marche pas forcément à l’image. Ajouter la frustration constante d’avoir la sensation de ne jamais voir un film fini et pour cause les nombreux fonds verts empêchent d’apprécier pleinement les images. Vous aurez l’impression de ne jamais en voir la fin. Contrairement à une production lambda, tourner un film avec de lourds travaux d’effets digitaux fait que, arrivé au montage, vous n’avez toujours pas de film. Mais l’expérience fut bonne. Au moins, je sais ce que c’est maintenant.

Toute la technique utilisée sur le film n’est à aucun moment gratuite. Ni le choix de la caméra phantom capable de filmer à plus de 1000 images par seconde, ni les effets numériques. Ainsi nous avons pu créer de très beaux moments de grâce et de plénitude qui génèrent un délicieux contraste paradoxal avec le conflit intérieur de Meredith, le personnage principal du film.

« C’est très dickiens ! » : Parmi les privilégiés qui ont assisté au montage du film, Philip K.Dick (l’écrivain culte de science fiction pour ceux qui ne connaissent pas) est le nom qui est revenu le plus souvent pour décrire ce qu’ils venaient de voir. Je n’en suis pas peu fier. J’ai toujours apprécié son style de science-fiction. Quelque chose entre pure imagination et véritable anticipation sur la représentation sociétale et philosophique de l’homme dans son rapport à la technique. C’est exactement ce que je cherche à faire. Chose très difficile quand vous ne disposez que de quelques minutes pour vous exprimer.
Mais je pense qu’au moment où j’écris ces lignes, on peut tous être fiers du travail accompli.

BABY/BOOM. Création/Destruction – ON/OFF. Marche/Arrêt.

Vie/Mort. La main n’est jamais différente de ce qu’elle écrit. A travers les yeux de Meredith, j’ai vu de près les étoiles. Mais j’ai surtout vu leurs fantômes. L’espace n’est pas un endroit agréable. Il est un miroir car on s’y sent toujours seul. Seul avec soi même. Il est la projection de notre propre esprit et ceux que l’on y observe n’est qu’un fuyant déferlement de songes qui va mourir au bord de ce qui n’est déjà plus.

Thierry Lorenzi
End communication.